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Rêveries d’un passager solitaire, conseils aux rêveurs

Voici le carnet de voyage de Gérard le spécialiste de la traction de halage sur les canaux, qui nous a beaucoup documenté sur ce sujet (voir son site très complet) et qui est venu naviguer quelques jours avec nous pour comparer l’état du canal lorsqu’il le suivait avec son père employé de la société de tractage et l’état de celui çi maintenant. no comment …

Rêveries d’un passager solitaire, conseils aux rêveurs

Pour un dater1, c’est un moment à dater que de voyager pour la première fois à bord du Kaïros.

D’abord il faut être admis par les dabords. Marine et Gilles. Normal, il sont chez eux, ce n’est pas un hôtel flottant, ce sont eux qui vous invitent à bord et décident quand. Savoir où, c’est une autre paire de manches et, une semaine à l’avance, ne pariez pas celles de votre chemise sur un canal ou un autre. Eux-mêmes sont soumis à d’autres volontés.

Une fois l’accord établi entre eux et vous sur la période, vous êtes suspendu aux informations sur le voyage et son avancement pour penser, voire rêver, à votre séjour.

On dit qu’un voyage se fait trois fois. Quand on le prépare, quand on le fait, et quand on en revoit les images. Préparez, c’est mieux, mais ne rêvez pas sur le lieu. (ou alors pensez à toutes les éventualités, mais vous en oublierez forcément) Ici, on s’adapte, les technocrates maniaques de la planification auront du fil à retordre. C’est que les impondérables qui les obligeraient à modifier le planning ne sont rien moins que les aléas des affrètements et du travail dans les ports où les délais ne sont pas garantis. Et encore, on ne vous parle pas des jours où l’eau du canal s’évapore ou fuit. C’est rare mais ça peut empêcher le bateau de naviguer.

Il faut de la souplesse disent vos amphitryons. Notez le bien, car si vous rêvez trop fort, vous risquez d’être déçu. Si vous aimez prendre les choses comme elles viennent, en bon adepte du dieu Kaïros, le dieu grec des occasions à saisir, ce sera plus facile.

Ne vous découragez jamais, vos hôtes sont aguerris aux adaptations à ces aléas. Cool Raoul, ça baigne. Et si vous êtes au sec, pensez que le dieu des occasions à saisir est peut-être aussi celui des désillusions à maitriser.

Pensez aussi que si vous piaffez en imaginant les endroits où vous allez contempler le paysage à 4 km/h (en moyenne) Marine et Gilles ont leur bateau à faire marcher et pas toujours le temps de répondre par retour à vos questions. Quoi qu’il y a des moments où on se dit qu’on va les déranger et où ils répondent aussi gentiment que s’ils n’avaient que ça à faire.

 

Bon ça y est le grand jour est arrivé. Vous êtes sur place, faisant connaissance avec trois personnages : Un homme, une femme et un bateau. C’est le bateau qui parle le moins, mais lui aussi vous mettra à l’aise.

 

Aperçu de mon voyage

 

Je suis arrivé à Château-Porcien, au quai du silo à céréales, lieu du rendez-vous.

Ce sont des gens charmants. Au sens courant bien sûr, mais aussi au sens étymologique. Ils m’ont offerts un rafraichissement à l’arrivée et il devait y avoir un philtre magique dedans. Deux heures après avoir fait leur connaissance, j’étais aussi à l’aise que si notre première rencontre remontait à 15 ans. J’étais ensorcelé. Quand ils se sont présentés j’avais répondu :  » Enchanté « . Je ne croyais pas si bien dire.

Le bateau, vide, ne partait pas tout de suite. Le nettoyage des salissures du voyage précédent, des engrais, était en cours et s’est poursuivi toute la journée du lendemain. Foutu boulot. La matinée suivante était consacrée au chargement de 250 t de blé. C’est avec le blé que Marine et Gilles font leur beurre. (Enfin je ne suis pas sûr)

Le bateau chargé, les amarres larguées, les deux premiers biefs parcourus, coup de téléphone de l’affréteur : Détournement de cargaison. Le blé pour Anvers est maintenant à livrer à Bruges.

La raison est inconnue, mais on peut se douter que des opérations commerciales sur la cargaison sont derrière ça.

Et voilà l’itinéraire à refaire, et le trajet ferroviaire que j’avais prévu pour revenir à mon point de départ est à revoir. J’étais prévenu. Je n’étais pas sur un bateau de croisière, mais sur un bateau de transport de fret. L’imprévu peut m’amuser si je suis dans de bonnes dispositions et c’était mon cas ce jour là. Le charme évidemment.

Un bateau de plus de 38 m ne fait pas demi-tour n’importe où sur un canal. Forcément, il est plus long que le canal n’est large. Il y a des endroits prévus pour ça, il y en a à proximité des lieux de chargement/déchargement, ailleurs c’est plus rare. De plus, en raison du mauvais entretien du canal, le retournement d’un bateau vide est possible là où celui du même bateau chargé ne sera pas possible en raison de son enfoncement dans l’eau plus important, la profondeur de la zone de virement étant insuffisante, contrairement à ce qui est mentionné dans le guide de navigation. C’est bien connu, la théorie et la pratique sont souvent différentes.

Finalement le changement de destination a été envisagé trop tardivement, il aurait fallu aller trop loin pour faire demi-tour, l’allongement de distance et de temps serait trop important et on ne change rien.

La souplesse des échanges commerciaux y a perdu en raison de l’insuffisance des crédits octroyés à la voie d’eau. Économies d’un coté, pertes de l’autre. Quel est le gain pour l’économie du pays ?

Nous voilà sur le canal des Ardennes en direction de la Meuse. Ce qui frappe quand on n’est pas un habitué des voyages sur la voie d’eau, c’est l’état d’entretien (ou d’abandon pour être exact).

Il y a aussi des moments où à regarder certains détails on se demande si beaucoup de membres du personnel de VNF ou des services de navigation sont intéressés (au sens courant s’entend, au sens pécuniaire on sait que non) par le fonctionnement de ce service public. Si toutefois ce terme a encore un sens. Un effort de remotivation est suggéré à la hiérarchie, en s’en donnant les moyens, bien sûr.

 

Arbres engageant fortement le gabarit de navigation, berges effondrées, lisses en bois pourries, aux fers de fixation agressifs pour les coques, végétation poussant sur les maçonneries des écluses ou les armatures des portes, insuffisance du nombre de bollards ou certains d’entre eux cachés par la végétation, profondeur du chenal insuffisante, le bateau frottant la vase et ne pouvant avancer qu’à une vitesse à peine supérieure à celle donnée par les chevaux au début du XXème siècle, j’en oublie, (faudrait que j’y retourne en pensant à noter) le nombre de choses compliquant le travail des mariniers est impressionnant.

Si, si, ça passe encore.

 

credit photo papidema.free.fr

C’est difficile d’arracher ça ? Ah, ouais, faut un bateau.

 

La navigation sur canal est normalement paisible. Seul bruit, celui, régulier, du moteur. Mais de temps en temps on entend un choc et on sent la secousse qui va avec. Le passager novice s’inquiète. Entre nous, il fait bien, c’est que le matériel souffre. Mais le marinier ne bronche pas si ce n’est pas trop fort, hélas il a l’habitude, ce n’est qu’une pierre du fond (il ne devrait pas y en avoir) que le bateau vient de déplacer ou concasser. Ou l’hélice qui laboure le fond et vient de rencontrer une branche. Voire n’importe quel objet incongru.

Dans ma jeunesse, celle où j’ai été élevé au bord du canal, celui-ci était vidé régulièrement, nettoyé de ces incongruités et recalibré quitte à y faire descendre des engins à chenilles. On me dit que ça ne se fait plus. Certains subdivisionnaires ne sauraient même pas que ça s’est fait.

Certains usagers prétendent que les canaux sont toujours dans l’état où ils étaient il y a un siècle. Aurait-ils tort et aurions nous régressé ?

Qui peut croire qu’aujourd’hui on pourrait transporter le même tonnage que dans les années 1950. Quelle quantité de transport la voie d’eau actuelle peut-elle offrir ? Dès lors comment s’étonner qu’il n’y ait pas plus de demande ?

Que dirait l’usager moyen d’une route pleine de trous, avec des effondrements de talus neutralisant un quart de la largeur, des arbres poussant sur la chaussée ? Un coup à changer de député aux prochaines élections, du coup le député s’en occupe. Pour la voie d’eau qui s’en émeut ? Mais à lire les conclusions du Grenelle de l’Environnement on est sûr que ça va changer.

J’ai passé 25 ans à l’entretien des routes en redoutant la condamnation de l’administration (et la mienne au cas où je n’aurais pas fait mon boulot alors que j’aurais pu) pour défaut d’entretien, notion juridique bien utilisée par les tribunaux.

Il semble que cela n’ait pas cours dans le domaine fluvial.

Bon assez râlé, il est de nouveau temps de s’aider pour que le ciel ne nous abandonne pas.

On sentait des vibrations lors des accélérations du régime moteur. A l’escale, Gilles découvre une corde qui flotte à l’arrière. On tire dessus, ça résiste. Elle est prise dans l’hélice. On tente une marche arrière pour la dégager. Échec, mais Kairos pas mat. On fait appel à Marine plongée SA.

La corde cause de la plongée est encore dans l’hélice.

En apnée s’il vous plait. Et une bonne demi-heure plus tard la corde était remontée sur le Kairos. Je dois préciser que Marine est remontée plusieurs fois pour respirer. On a ses limites quand même.

Un premier morceau de la corde est remonté. Au suivant. Marine y retourne.

credit photo papidema.free.fr

Le reste de mon séjour s’est déroulé sans autres surprises. Étonnant, non ?

1Dabord, dater : pour le marinier, le genre humain se divise en deux catégories. Il y a les « dabord », c’est à dire les gens d’à bord, autrement dit les mariniers comme lui. Et puis il y a les autres, les « dater » (le R se prononce), c’est à dire les gens d’à terre. Le « dater » est un peu au marinier ce que le gadjo est au gitan. (Ch B)

 

 

This Post Has 10 Comments

  1. ALBERCA dit :

    intéressant et…édifiant… il faudrait communiquer ce texte au Ministre des Transports!!!!
    je n’ai pu voir les photos jointes…à leur place j’ai un petit carré bleu avec un point d’interrogation au milieu.. dommage

  2. Mimi* dit :

    Sniffff…. j’vois pô les photos!!!
    Bizzzzzous quand même….
    Mimi*

  3. gervaise's dit :

    Tes rêveries font rêver mais tes photos sont invisibles, j’ai peut être pas rêvé assez fort, j’suis punie…..
    Biz
    Sylvie future marinière…..

  4. alain galopeau dit :

    Bonsoir à tous les deux. Les photos sont invisibles mais nous nous sommes bien retrouvés dans l’analyse que fait votre passager des différents temps du voyage. Nous en sommes au troisième  » quand on revoir les images » et notre voyage a bord en votre compagnie restera un grand moment ! !

    A bientôt pour la prochaine neuws.
    Nous avons pensé à vous en allant visiter l’écluse ronde d’Agde.

    Amitiés Françoise et Alain

  5. Allemand Michel dit :

    J’ai trouvé les commentaires de Gérard très interessants.Merci et bonne route!!!

  6. Kairos dit :

    Ca y est, les photos sont réapparues, bug bug
    merci de votre visite

  7. Jalin dit :

    Chère Marine bienvenue au club des plongeuses dépanneuses! bises à vous deux. chris

  8. alain galopeau dit :

    Marine a claqué dans ses doigts et les photos sont revenues !!!

    J »espère que l »au n’était pas trop froide.Encore un talent caché que nous ignorions

    Alain

  9. Françoise dit :

    Merci de nous faire rêver. Je n’ai pas pu profiter de l’offre récente suite au désistement de quelqu’un, alors je suis toujours au stade du rêve… Mais un jour peut être.

    Pour Gérard qui a travaillé 25 ans sur les routes, bravo. Chez nous en Belgique, les routes sont pleines de trous et quand on voyage en France on voit tout de suite la différence, c’est un billard ! Pour les canaux, je ne sais pas si c’est mieux chez nous.

  10. Dupuy josette dit :

    merci de nous faire partager ces moments , à bientôt

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